
Selon l’enquête conjoncturelle réalisée chaque année par la Fondation Genève Place Financière auprès des établissements bancaires, des gérants de fortunes et autres intermédiaires financiers, deux enjeux majeurs façonnent le monde de la finance : la digitalisation et la durabilité.
Or, la Place financière est non seulement en mesure d’accompagner ces défis, mais elle prend d’ores et déjà une part active à l’élaboration d’un futur digital et durable.
Le World Economic Forum (WEF) classe régulièrement la Suisse aux premiers rangs des pays les plus compétitifs au monde. Dans le domaine de la fintech, l’accession de la Suisse au 2ème rang du dernier World Digital Competitiveness Ranking, publié par l'IMD, n’est pas le fruit du hasard. Elle est le reflet d’un écosystème performant, capable d’attirer les talents et d’investir dans ses infrastructures.
Plusieurs facteurs sont à l’origine de la montée en puissance du digital. Les acteurs financiers ont dû faire face aux changements de comportement de leur clientèle. Celle-ci attend des expériences digitales rapides, personnalisées et sécurisées. Dès lors, la numérisation de certaines activités représente à la fois un moyen de mieux maîtriser les coûts et une réponse à une exigence de réactivité et de disponibilité accrues. Ces changements profonds ont amené les acteurs de la Place financière à repenser l’optimisation de l’expérience client. L’objectif n’est pas de se transformer en fintech, mais d’intégrer la technologie au cœur de leur activité. De nouvelles offres apparaissent régulièrement, notamment dans le domaine de la gestion de fortune. Elles portent sur la gestion des risques et génèrent également des stratégies destinées à optimiser les placements et les approches d’investissement.
Dans cette optique, les acteurs financiers genevois font appel à des solutions d’intelligence artificielle et s’intéressent au potentiel de l’IA générative. En effet, l’IA ouvre un vaste champ de possibilités et stimule déjà la création de valeur économique. La Haute école de Lucerne a réalisé une enquête qui démontre d’ailleurs que la moitié des sociétés financières utilise cette technologie pour le service à la clientèle afin d’améliorer le degré de satisfaction et d’augmenter l’efficacité. Cette révolution tectonique soulève de nombreuses questions, dont une interrogation centrale : quelles tâches seront confiées aux machines ? Il serait irresponsable de ne pas envisager les abus potentiels, intentionnels ou non, de l’IA. Pour les mesurer, l’IMD, avec sa « AI Safety Clock », propose une démarche pertinente : alerter sans freiner, encadrer sans brider.
La réglementation doit suivre cette voie équilibrée. En Suisse, le Conseil fédéral a indiqué en février 2025 vouloir viser trois objectifs : le renforcement de la Suisse comme lieu d’innovation, la protection des droits fondamentaux, y compris la liberté économique, et l’amélioration de la confiance de la population envers l’intelligence artificielle. Il a mandaté le Département fédéral de Justice et Police afin d’élaborer d’ici fin 2026 un projet de consultation qui mette notamment en œuvre la Convention de l’IA du Conseil de l’Europe.
A cette transformation numérique s’ajoute une autre priorité : celle de la durabilité. Dans ce domaine également, la réglementation joue un rôle déterminant. Contrairement à l’UE, la Suisse mise sur l’autoréglementation qui appelle une coopération étroite entre toutes les parties prenantes. L’Association suisse des banquiers (ASB) et l’Asset Management Association Switzerland (AMAS) ont montré la voie, en codifiant des standards clairs sur l’intégration des critères ESG. Au printemps 2024, leurs directives ont été renforcées pour lutter plus efficacement contre l’écoblanchiment. Cette démarche pragmatique, construite sur la confiance et la collaboration, a été saluée par le Conseil fédéral. Il a renoncé en l’état à l’élaboration d’une réglementation étatique.
Les chiffres sont là pour attester de la pertinence de cette approche. Fin 2024, le volume des investissements liés à la durabilité s’élevait à 1’881 milliards de francs. 83% des acteurs du marché utilisent au moins trois stratégies d’investissement durable, avec une préférence pour celles axées sur les résultats, tels que les investissements durables thématiques. Cette volonté se concrétise également à travers l’événement « Building Bridges » qui réunit à Genève toutes les parties prenantes à cet effort commun. La sixième édition se tiendra du 30 septembre au 2 octobre au Centre International de Conférences Genève.
Pour atteindre la neutralité carbone en Suisse d’ici 2050, l’ASB et le Boston Consulting Group ont établi que les besoins en financement s’élèvent à 387,2 milliards de francs. Or, les établissements bancaires seront en mesure de financer 83% des investissements nécessaires à travers des crédits hypothécaires et aux entreprises. Le marché suisse des capitaux, les fonds étatiques, des financements mixtes et des partenariats publics-privés couvriront les 17% restant. Une preuve, s’il en fallait, que le secteur financier n’est pas un obstacle à la transition durable, mais l’un de ses leviers les plus puissants.
Nul doute que cette stratégie promet un futur plus radieux que celui dépeint par l’initiative de la Jeunesse socialiste improprement intitulée « Pour l’avenir », sur laquelle le peuple se prononcera le 30 novembre prochain. Ce texte vise à imposer au taux de 50% les successions et les donations dépassant les 50 millions de francs, dans le but de protéger le climat. Or, cette initiative est un leurre car elle aura pour seul effet de mettre en péril les entreprises familiales et de faire fuir les personnes concernées hors de Suisse, sans contribuer le moins du monde à la cause climatique.
L’attractivité est intimement liée au savoir-faire des talents qui font la Place financière. L’accélération du recours à l’IA et de la transition vers une finance plus durable bouleversent les compétences requises. Plus que jamais, une formation professionnelle, continue et académique de pointe s’avère indispensable. Genève a le privilège de bénéficier aujourd’hui déjà d’une offre remarquable en la matière grâce notamment à la Haute école de gestion (HEG), à l’Institut Supérieur de Formation Bancaire (ISFB), au Swiss Finance Institute (SFI) et à l’Université de Genève. Ces institutions proposent toutes des cursus qui répondent aux défis de la technologie et de la durabilité.
La place financière genevoise a les moyens de ses ambitions. Elle peut légitimement apporter son expérience et son expertise afin de continuer à cultiver l’esprit d’innovation. Cela ne sera toutefois possible que si la Suisse ne cède pas à la tentation du repli sur soi. Les acteurs financiers devront rester fidèles à ce qu’ils ont toujours su faire au mieux : anticiper, attirer les talents et innover.
Editorial publié dans le supplément Focus finance de la "Tribune de Genève" - 30 septembre 2025