Lundi 14 Septembre 2020

Initiative de limitation : une menace pour la Place financière

Un vote favorable le 27 septembre entraînerait un effet domino dévastateur provoqué par la clause guillotine. Un tel résultat provoquerait non seulement la fin de la libre circulation des personnes, mais aussi celle d’autres accords bilatéraux vitaux, notamment pour la recherche et l’innovation. Il en va du maintien de l’emploi et de la prospérité dans notre pays.

Le 27 septembre prochain, les citoyennes et les citoyens suisses devront se prononcer sur une initiative populaire de l’UDC Suisse visant à mettre fin à la libre circulation des personnes avec les pays membres de l’UE et de l’AELE.

Ce texte ne laisse aucune marge de manœuvre au Conseil fédéral : en cas d’acceptation de l’initiative, le Gouvernement suisse aura exactement 12 mois pour trouver une solution consensuelle avec l’UE pour mettre un terme à l’Accord sur la libre circulation des personnes. S’il n’y parvient pas, il sera tenu de résilier unilatéralement le traité en question dans un délai de 30 jours, soit au plus tard à l’automne 2021.

Une attaque frontale contre les accords bilatéraux, en pleine crise économique

L’Accord sur la libre circulation des personnes fait partie intégrante des Bilatérales I acceptées par le peuple suisse par 67,2% des voix le 21 mai 2000. Ces 7 accords (libre circulation des personnes, transports terrestres, transport aérien, agriculture, recherche, marchés publics et suppression des obstacles techniques au commerce) sont juridiquement liés entre eux par une clause dite « guillotine » : si un des accords est résilié, les autres tombent automatiquement six mois après.

Les initiants ne proposent aucune alternative crédible pour remplacer la voie bilatérale. La fin de ces accords précipiterait la Suisse dans une période d’incertitude préjudiciable à sa prospérité.

Il est irresponsable de vouloir rompre les relations avec le principal partenaire économique de la Suisse. Avec près de 450 millions de consommateurs potentiels, l’UE est de très loin le plus grand débouché pour les produits et services helvétiques. En 2018, les entreprises suisses ont réalisé 51,2% de leurs exportations dans l’UE, alors que 64,7% de nos importations provenaient de cette même région. Cette mise en danger de la voie bilatérale est d’autant plus grave qu’elle interviendrait dans une période de crise économique aigue due à la pandémie de Covid-19. Le 27 août, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a annoncé une chute du PIB de 8,2% au 2ème trimestre, après une baisse de 2,5% au 1er trimestre 2020. Nos entreprises doivent plus que jamais pouvoir compter sur des relations harmonieuses avec notre premier marché d’exportation.  

Un enjeu majeur pour la Place financière et ses emplois

La Place financière genevoise génère plus de 35'000 emplois et contribue à hauteur de 12% du PIB cantonal.

A Genève, les entreprises exportatrices constituent une clientèle importante pour les banques, qui les accompagnent dans leurs opérations à l’étranger, en particulier dans l’UE. Si les barrières européennes venaient à se refermer pour les produits genevois, les conséquences négatives pour les banques commerciales seraient immédiates.

Les établissements bancaires et financiers, tant genevois que suisses, sont eux-mêmes largement orientés vers l’exportation de services. Preuve en est le fait que les actifs gérés dans notre pays et provenant de l’UE s’élèvent à environ CHF 1'000 milliards. Afin de pouvoir servir au mieux cette clientèle vitale, la place financière souhaite obtenir un meilleur accès au marché européen. Cette perspective serait compromise par une acceptation de l’initiative de limitation le 27 septembre.

Attirer, former, garder les talents : la clé du succès

La Place financière ne serait rien sans les collaboratrices et les collaborateurs qui la composent. Ces talents font la force de tout un secteur économique grâce aux compétences qu’ils ont acquises, par le biais de la formation professionnelle, continue et académique.

Le Bassin lémanique a le privilège d’héberger sur son sol l’Université de Genève et l’EPFL qui occupent respectivement la 59ème et la 83ème place dans le Classement de Shanghai publié le 14 août 2020. Le secteur bancaire et financier bénéficie largement de la présence de ces deux pôles d’innovation d’envergure mondiale. Mais un tel niveau d’excellence ne pourrait jamais être atteint sans les collaborations internationales et, en particulier, la participation aux programmes de recherche européens. Faut-il rappeler que près de 50% des partenariats des groupes de recherche suisses sont établis avec l’Europe ?
L’application de la clause guillotine évoquée ci-dessus aurait pour conséquence inéluctable la fin de l’Accord bilatéral sur la recherche avec l’UE. Une source essentielle de talents risquerait alors de se tarir pour l’ensemble du tissu économique local.

La libre circulation ne fonctionne pas à sens unique

La force du secteur bancaire et financier helvétique réside aussi dans le réseau qu’elle entretient à l’étranger, en particulier dans l’UE, et qui permet le passage des talents d’une entité à l’autre. La libre circulation des personnes ne fonctionne pas à sens unique. En 2018, plus de 460'000 Suissesses et Suisses vivaient et travaillaient en Europe, dont une portion significative dans des entreprises actives dans les domaines bancaire et financier.  Pour une Place financière internationale comme Genève, les compétences acquises sur sol européen par des talents de retour au bercail sont précieuses. La fin de la libre circulation voulue par l’initiative de limitation porterait un coup fatal à ces fructueux échanges.

Les éléments qui précèdent démontrent combien le rejet de l’Initiative de limitation le 27 septembre prochain est essentiel pour permettre au secteur bancaire et financier, tant genevois que lémanique, de demeurer un pôle de compétences générateur d’emplois à haute valeur ajoutée et de prospérité.

Opinion publiée dans "Le Temps" - 14 septembre 2020

 

Yves Mirabaud Président de la Fondation Genève Place Financière