
Face à un monde de plus en plus fragmenté, à une compétition économique exacerbée et à la volonté de certains Etats de déréglementer afin de favoriser la croissance, la Suisse serait bien avisée de faire preuve de pragmatisme réglementaire, dans le respect du principe de la proportionnalité. Le domaine des services financiers est particulièrement concerné !
Dans son discours prononcé lors de son investiture le 20 janvier 2025, le Président Trump a promis de faire entrer son pays dans un nouvel « Age d’or », avec pour leitmotiv une déréglementation tous azimuts, afin de libérer la croissance. A cet égard, « The Economist » évoque une « anti-red-tape revolution » et indique que les Américains consacrent 12 milliards d’heures par année à se conformer à des règles fédérales. Il précise que le Code fédéral compte actuellement 180'000 pages, contre 20'000 dans les années 60.
Le 29 janvier 2025, dans la présentation de sa nouvelle stratégie économique pour les années à venir, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, a plaidé en faveur d’une simplification de la législation. Elle a appelé de ses vœux de vastes consultations dans le domaine réglementaire en réponse au diagnostic établi par le rapport de Mario Draghi sur la panne de croissance et le déficit d’innovation de l’Union européenne (UE). Cette « boussole de compétitivité » se compose de trois axes principaux, dont celui visant à alléger la réglementation européenne.
Même l’Union Européenne se remet en question
Il faut dire qu’en matière de réglementation, l’UE revient de loin. « The Economist » relève qu’« au cours des cinq dernières années, le Parlement européen a adopté deux fois plus de lois que l’Amérique ». De son côté, « Le Monde » du 31 janvier 2025 estime que cette stratégie représente une forme de « mea culpa pour avoir trop réglementé dans le passé ».
A Bruxelles, le premier chantier ouvert concernant « le choc de simplification » de la réglementation porte sur le Pacte vert pour l’Europe adopté en 2020, dans le cadre du projet de Règlement Omnibus (voir « Le Temps » du 3 février 2025). Sans entrer dans le détail de cette impénétrable jungle législative, Omnibus s’attaque aux trois textes qui constituent le cadre réglementaire du reporting extra-financier ESG, à savoir la Corporate Sustainability Reporting (CSRD), le Règlement de l’UE sur la taxonomie verte et la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D). Le 26 février 2025, la Commission européenne a présenté les contours de sa réforme, qui ne manquera pas de susciter un débat nourri parmi les Etats membres.
La Suisse ne nagerait-elle pas à contre-courant ?
Face à cette tendance lourde vers un allègement réglementaire, la Suisse semble ramer à sens inverse, plus particulièrement dans le domaine bancaire et financier. En effet, la crise de Credit Suisse a donné des ailes à celles et ceux qui souhaitent renforcer le carcan législatif autour de cette industrie.
Les premiers effets se sont fait sentir en lien avec les exigences de fonds propres. En effet, notre pays applique les nouvelles règles de Bâle III depuis le 1er janvier 2025, alors même que l’UE, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont décidé de repousser leur entrée en vigueur et que les établissements bancaires helvétiques font partie des mieux capitalisés au monde. Une augmentation supplémentaire et indifférenciée des exigences de fonds propres aurait pour conséquence de créer un désavantage compétitif pour la place financière suisse en comparaison internationale et de renchérir sensiblement le coût du crédit pour les entreprises et les particuliers.
Le secteur bancaire et financier helvétique a accueilli de manière constructive les propositions énoncées dans les Rapports du Conseil fédéral d’avril 2024 et de la Commission d’enquête parlementaire (CEP) de décembre 2024. Toutefois, leur concrétisation devra intervenir dans le strict respect du principe de la proportionnalité et de manière ordonnée, en évitant un flot ininterrompu de nouvelles normes disparates. A ce stade, la priorité absolue réside dans l’amélioration des règles relatives à l’approvisionnement en liquidités des banques, qui a fait défaut dans l’affaire Credit Suisse.
L’excès de réglementation ne relève pas du concept, mais peut s’immiscer au plus profond du quotidien des collaboratrices et des collaborateurs de la Place financière. Dans la gestion de fortune par exemple, la récente entrée en vigueur de la Circulaire FINMA 2025/2 « Règles de comportement selon la LSFin et l’OSFin » risque de conduire à des situations incompatibles avec l’essence même du mandat de gestion. Le Parlement avait prévu dans la Loi sur les services financiers (LSFin) que le prestataire de service financier doit notamment se renseigner sur les connaissances et l’expérience du client qui se rapportent au service financier en général et non à chaque transaction isolée. Dans la Circulaire précitée, la FINMA stipule au contraire que les prestataires de services financiers doivent se renseigner sur les connaissances et l’expérience de leur clientèle pour chaque catégorie de placement figurant dans leur offre (alors même que le client qui a confié un mandat de gestion cherche précisément à déléguer le choix de l’instrument de placement à un tiers professionnel qui bénéficie des connaissances requises). Durant la procédure de consultation, la branche a dénoncé cette nouvelle exigence, malheureusement en vain. Reste donc à espérer que l’Autorité de surveillance saura renouer le dialogue avec les Associations professionnelles et faire preuve de la souplesse nécessaire pour ne pas porter atteinte à l’attractivité de la gestion de fortune en Suisse.
Le train Suisse doit rester à l’heure
Le train des allègements réglementaires est lancé au niveau mondial. Sa vitesse n’est pas identique sur chaque continent. Il fait figure de TGV aux Etats-Unis et d’Omnibus en Europe (du nom du paquet de mesures prévu par la Commission). Il serait préjudiciable qu’il déraille en Suisse, brisé dans son élan par un entrelacs d’initiatives populaires, de législations, d’ordonnances et de circulaires, visant à réglementer jusqu’à l’étouffement le secteur bancaire et financier qui représente 9,1% du PIB national, 5,2% des emplois et 11,6% de l’ensemble des recettes fiscales de la Confédération.
L’excès normatif disait Tocqueville finit toujours par nuire à la santé économique d’un pays.
Opinion publiée dans "Le Temps" - 3 mars 2025