Plus de deux ans après l’abandon de l’Accord cadre, Berne a fait un pas important en direction d’une reprise du dialogue réglementaire avec Bruxelles. Toutefois, l’approche dite « spécifique aux établissements » est la grande absente du projet de Mandat de négociation. Or, ce mécanisme est indispensable afin de supprimer un handicap majeur pour la place financière suisse.
En mai 2021, la Place financière avait pris acte avec regret du fait que le Conseil fédéral n’entendait pas signer l’Accord cadre négocié entre la Suisse et l’Union européenne (UE). Depuis lors, elle n’a eu de cesse de marteler combien des relations bilatérales apaisées avec notre grand voisin européen étaient essentielles et combien l’accès au marché de l’UE était crucial pour le secteur bancaire et financier genevois. Ce dernier génère près de 38'000 emplois hautement qualifiés et représente plus de 13% du PIB cantonal.
L’absence d’accès au marché : un handicap majeur
Pour rappel, la Suisse occupe une position de leader mondial dans la gestion de fortune transfrontalière, avec une part de marché d’environ 25%. Il s’agit donc d’une industrie d’exportation au sens classique du terme, dans la mesure où la plus grande partie des services est produite en Suisse, alors que les deux tiers des clients sont domiciliés à l’étranger. Dans ce contexte, 40% des actifs privés transfrontaliers sous gestion proviennent d’une clientèle située dans l’UE. Cela représente environ CHF 1'000 milliards d’actifs. Pour servir ces clients internationaux, les intermédiaires financiers helvétiques emploient environ 20'000 collaboratrices et collaborateurs hautement qualifiés. Malheureusement, l’absence d’accès au marché européen représente un handicap majeur pour le secteur financier suisse, qui se voit contraint d’augmenter année après année ses effectifs sur sol européen plutôt que dans notre pays.
Cette préoccupation ressort de manière criante de l’Enquête conjoncturelle 2023-2024 menée par la Fondation Genève Place Financière auprès des banques, des gérants de fortune et des autres intermédiaires financiers genevois. Pour plus des deux tiers des établissements comptant plus de 200 emplois, l’absence d’accès facilité au marché européen est susceptible de modifier de façon significative et structurelle leur modèle d’affaires.
Une démarche historique des places financières de Genève, Zurich et Lugano
Face à cette situation, la Place financière n’est pas restée passive. Sous l’égide de l’Association suisse des banquiers (ASB), elle a élaboré une approche d’accès au marché européen dite « spécifique aux établissements ». Cette stratégie prévoit que les établissements intéressés s’enregistrent auprès d’une autorité européenne unique, obtenant ainsi un passeport leur permettant d’offrir activement des services bancaires et d’investissement sur l’ensemble du territoire de l’UE. Par le biais de cet enregistrement volontaire, les banques suisses s’engageraient à se conformer au droit européen en vigueur lorsqu’elles fournissent des prestations à des clients domiciliés dans l’UE.
C’est donc avec satisfaction que le secteur financier a pris connaissance du document du 27 octobre 2023 intitulé « Common Understanding », qui a fait suite aux discussions exploratoires entre Berne et Bruxelles et qui résume les grandes lignes d’un possible accord. Il en ressort que la Commission européenne et la Suisse entendent poursuivre un dialogue sur la réglementation financière, incluant les activités transfrontalières.
Pour appuyer cette approche, la Fondation Genève Place Financière de concert avec ses homologues de Zurich (« Zürcher Bankenverband ») et de Lugano (« Associazione Bancaria Ticinese ») a entrepris pour la première fois de l’histoire une démarche conjointe auprès du Conseil fédéral. Dans un courrier de novembre 2023, les trois structures faîtières ont prié le Gouvernement suisse de poursuivre le dialogue financier avec l’UE avec l’intensité requise pour qu’il soit possible d’intégrer une solution négociée conforme à l’approche dite « spécifique aux établissements » dans le paquet final de négociations avec l’UE.
Le mandat de négociation : un grand pas en avant perfectible
Cette requête a été en partie entendue. En effet, dans le « Rapport sur les discussions exploratoires entre la Suisse et l’Union européenne concernant la stabilisation et le développement de leurs relations » du 15 décembre 2023, il est précisé ce qui suit : « la Suisse et l’UE peuvent reprendre dès maintenant le dialogue sur la réglementation financière. Les activités transfrontalières seront également abordées ». Il faut se féliciter du fait que le dialogue financier puisse être repris sans délai. En revanche, on peut regretter qu’il ne soit pas fait expressément mention de l’approche « spécifique aux établissements ».
Le 15 décembre 2023 également, le Conseil fédéral a soumis à consultation un projet de Mandat de négociation. Ce projet est malheureusement très décevant et paradoxal pour la Place financière. En effet, il ne comporte aucune référence au dialogue financier alors que le « Common Understanding » l’inclut expressément. Il en va de même du Rapport précité, dans lequel ce dialogue fait partie de l’approche par paquet élaborée par le Gouvernement suisse. Par ailleurs, le dialogue financier est le seul élément du paquet en question qui n’est pas accompagné de « lignes directrices de négociation », principes destinés à cadrer les discussions à venir, notamment dans les domaines de la santé, de l’électricité et des transports.
Pour terminer sur une note néanmoins positive, il convient de saluer l’importance accordée à l’inclusion de la Suisse dans les programmes de l’UE en matière de recherche, d’innovation et de formation, tels qu’Horizon 2021-2027 et Erasmus+. En effet, l’excellence du centre financier genevois repose avant tout sur les talents qui le composent. Or, les programmes en question sont de nature à renforcer les compétences des futurs collaboratrices et collaborateurs de ce secteur. Pour ce motif déjà, il est essentiel de parvenir à un accord pour éviter que le scénario catastrophe de 2021 ne se répète. Cet avis semble partagé par la majorité de la population. Il ressort en effet du récent sondage réalisé par gfs.bern que plus de deux tiers des participants sont favorables à un mandat de négociation pour développer la voie bilatérale avec l’UE et que plus de 70% approuvent le contenu du paquet de négociations.