Lundi 05 Juin 2023

Initiative 185 : le syndrome norvégien risque d’être contagieux!

En voulant augmenter l’impôt sur la fortune, l’IN 185 fragiliserait encore davantage la pyramide fiscale genevoise et porterait un tort considérable au tissu économique cantonal. L’exode massif de contribuables norvégiens devrait interpeler Genève ! 

Le 18 juin 2023, le peuple genevois sera appelé à se prononcer sur l’Initiative 185 intitulée « Pour une contribution temporaire de solidarité sur les grandes fortunes ».

D’un point de vue international, l’impôt sur la fortune fait figure de fossile vivant, qui ne subsiste que dans une poignée d’Etats de l’OCDE, dont la Norvège, l’Espagne et la Suisse. L’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg, la Suède et le Danemark l’ont aboli au cours des deux dernières décennies. Même la France l’a supprimé en 2017, après avoir perdu environ 60'000 millionnaires entre 2000 et 2016.

Une imposition de la fortune déjà très lourde

Aujourd’hui, Genève est le canton suisse qui impose le plus la fortune des personnes physiques avec un taux maximum de 1%. L’Initiative 185 prévoit d’augmenter ce taux de 50% pour le faire passer à 1,5% pendant 10 ans. Les patrimoines à partir de 3 millions de francs seraient touchés par cette mesure. Ainsi un contribuable célibataire sans enfant avec une fortune de 5 millions de francs verrait sa facture fiscale passer de 44'270.- à 51'079.-, contre seulement 6'000.- à Stans dans le canton de Nidwald.

L’exil fiscal ne relève pas de la théorie

Actuellement, 1% des contribuables paie 66% de l’impôt sur la fortune, ce qui représente
551 millions de francs. Avec l’IN 185, certains d’entre eux subiraient une hausse, parfois très marquée, de leur impôt. Il est donc évident qu’ils seraient tentés de quitter Genève pour éviter cette ponction déraisonnable. Or, si les 10 contribuables les plus impactés décidaient de quitter le canton, la perte fiscale se montrait à 186 millions de francs. Il faudrait alors plus de 15'000 contribuables moyens pour les remplacer !

Les initiants répètent à l’envi que le départ de contribuables en cas d’augmentation d’impôt n’est qu’une vue de l’esprit. Ils seraient bien inspirés d’étudier de plus près le phénomène que vit actuellement la Norvège. Cet Etat scandinave a récemment augmenté de 10% son impôt sur la fortune en le faisant passer de 1% à 1,1%. En parallèle, il a aggravé l’imposition des dividendes. Ces mesures ont entraîné un exode massif de gros contribuables norvégiens, dont beaucoup d’entrepreneurs. Bon nombre d’entre eux se sont installés en Suisse. La plupart ont déposé leurs valises dans des cantons de Suisse centrale à la fiscalité attractive. A Nidwald, le taux d’imposition maximum sur la fortune est de 0,13 %, à Schwyz il se monte à 0,22% et, enfin, à Zoug, il atteint 0,27%. On est donc bien loin du 1% genevois, que l’IN 185 ferait passer à 1,5%.

Seuls les contribuables concernés connaissent le seuil de douleur au-delà duquel le départ vers des cieux fiscaux plus cléments devient inéluctable. Une fois qu’il est atteint, l’exode est alors massif. A Genève, l’IN 185 risque fort d’être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. En effet, elle s’inscrit dans une avalanche de textes législatifs et d’initiatives visant à augmenter la charge fiscale des personnes physiques. Ces incessants coups de boutoir fiscaux créent un climat délétère, qui finira par chasser les contribuables les plus attachés à notre canton. Ces derniers n’auront pas à s’exiler au bord du Lac des Quatre Cantons ou de Zoug, ils pourront s’établir sur les rives vaudoises du Léman et bénéficier d’un taux d’imposition maximum sur la fortune de 0,79%, soit à peu près la moitié du taux prévu par l’IN 185. En se déplaçant à peine plus loin, en Valais, leur fortune sera soumise à un taux maximum de 0,63%, contre 1,5% à Genève.

Le poids de l’imposition sur l’outil de travail

Il faut ajouter que l’impôt sur la fortune frappe lourdement les entrepreneurs qui contribuent de manière déterminante à la prospérité du canton. En effet, les propriétaires de PME organisées sous forme de SA ou de Sàrl (soit l’immense majorité des entreprises) paient, en plus de l’impôt sur le bénéfice et de l’impôt sur le revenu, un impôt sur la fortune touchant les actions qu’ils détiennent dans leur entreprise. Pourtant, cette fortune commerciale n’est pas liquide, immédiatement disponible, mais bien un outil de travail générateur d’emplois. L’IN 185 aggrave encore cette situation. En effet, l’essentiel de la hausse d’impôt serait supporté par les entrepreneurs. Sur les 200 millions de francs de recettes supplémentaires escomptées, près de 133 millions de francs seraient à la charge des entrepreneurs. Une acceptation de l’IN 185 conduirait immanquablement à des délocalisations.

Genève ne connaît pas de crise des recettes

Si elle était acceptée, l’IN 185 porterait gravement atteinte à l’attractivité de Genève en comparaison intercantonale et internationale. Or, le canton ne connaît pas de problèmes de recettes. Les comptes 2022 confirment cette réalité. Les revenus fiscaux sont en augmentation de 1,7 milliard de francs par rapport au budget. Les comptes se soldent par un excédent de 727 millions de francs.

Grâce à son dynamisme, la Place financière a contribué à cet excellent résultat, aux côtés de secteurs comme le négoce de matières premières, l’affrètement maritime et l’horlogerie.  Si elle était acceptée, l’IN 185, risquerait de décourager les entrepreneurs, souvent familiaux, qui composent cet écosystème unique, avec des répercussions sur tout le tissu économique genevois. Dans le domaine de la gestion de fortune, l’hémorragie ne toucherait pas que les cheffes et chefs d’entreprises, mais aussi leur clientèle locale.

Pour que ce scénario digne de la Norvège ne se réalise pas, il faut dire « non » à l’Initiative 185 le 18 juin!

Opinion publiée dans "Le Temps" - 5 juin 2023

 

Denis Pittet Président de la Fondation Genève Place Financière