Genève ne peut pas s’offrir le luxe de rater cette réforme alors que son voisin vaudois a déjà réuni un large consensus politique
Une période d’incertitude néfaste pour l’emploi
La Place financière genevoise génère près de 37'000 emplois à haute valeur ajoutée. A elles seules, les banques en procurent environ la moitié, soit 18'500 postes. Ce secteur assure plus de 15% du PIB cantonal et de substantielles recettes fiscales.
Cette Place se caractérise par une diversité remarquable, composée de la gestion de fortune privée et institutionnelle, de la banque commerciale et de détail ainsi que du financement du négoce de matières premières. Elle évolue dans un écosystème unique au monde, un véritable « cluster », aux côtés du trading et des sièges de multinationales.
Malgré ses atouts indéniables, la Place financière traverse une période agitée, dominée par les incertitudes réglementaires, fiscales et économiques. Elle doit s’adapter à l’échange automatique d’informations fiscales, ses résultats sont affectés par l’érosion des marges, le franc fort et les taux d’intérêts négatifs. L’insécurité juridique liée à la mise en œuvre de la votation du 9 février 2014 sur l’immigration de masse ne doit pas non plus être sous-estimée.
Il n’est donc pas étonnant que les chiffres de l’emploi fournis par le récent Baromètre bancaire publié par l’ASB soient en baisse. Au premier semestre 2016, les effectifs dans les banques en Suisse sont en recul de 3'454 postes, soit 4,1%. En revanche, les emplois à l’étranger auprès des banques helvétiques ont connu une évolution inverse, avec 6'700 créations de poste.
Un besoin de stabilité et de prévisibilité
Face à cette évolution, il faut redonner à la Place financière genevoise la stabilité et la compétitivité dont elle a besoin en matière juridique et fiscale.
La troisième Réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) répond à ces impératifs.
Ces dernières années, les citoyennes et les citoyens suisses et genevois ont été amenés à s’exprimer sur des initiatives susceptibles de déstabiliser l’équilibre économique et fiscal qui fait la force de notre pays. On peut citer en particulier l’initiative visant à introduire un impôt sur les successions et celle voulant abolir l’imposition selon la dépense (forfait fiscal). Mais il ne faut pas non plus oublier l’initiative « contre la spéculation sur les denrées alimentaires » qui aurait pu porter un coup fatal au secteur du trading à Genève.
A l’inverse, RIE III, en instaurant une égalité de traitement entre toutes les entreprises et en supprimant les statuts spéciaux, permettra la mise en place d’un système transparent et pérenne sur le long terme, qui bénéficiera d’une large acceptabilité au niveau international. La récente décision de la Commission européenne infligeant une amende de 13 milliards d’euros à Apple, en raison d’avantages fiscaux considérés comme indus octroyés par l’Irlande, démontre de manière criante la nécessité d’un environnement fiscal stable.
Un coup de pouce à la compétitivité et à l’innovation
Les entreprises actives dans l’écosystème genevois, banques et sociétés financières en tête, évoluent dans un environnement international, largement globalisé. En toute bonne logique, elles comparent les conditions-cadres offertes sur les différentes places concurrentes.
La fixation d’un taux d’imposition unique aux environs de 13 %, tel que proposé par le Conseil d’Etat genevois dans son projet du 30 août 2016 placera Genève en bonne position, tant sur le plan international qu’au niveau intercantonal.
Les montants générés par la baisse du taux d’imposition, qui passera de 24% à environ 13,49% (sans compter les mesures d’accompagnement encore en discussion), ne disparaîtront pas dans la nature. Ils pourront au contraire être investis dans l’innovation, défi majeur auquel est confronté le secteur bancaire et financier, comme le relève le Baromètre bancaire évoqué ci-dessus. Les banques pourront également consacrer ces moyens à favoriser l’emploi et la formation des collaboratrices et collaborateurs à Genève et en Suisse. Les salaires ainsi générés seront eux-mêmes soumis à l’impôt, à un taux souvent supérieur, compte tenu de la progressivité du taux d’imposition pour les personnes physiques à Genève.
Conclusion
RIE III constitue une opportunité unique de renforcer l’attractivité de la Place économique et financière genevoise dans une période charnière. Un échec est impensable car il ferait perdurer une instabilité préjudiciable à la prospérité du pays et du canton. L’effet sur l’emploi serait alors dévastateur. Le Conseil d’Etat rappelle d’ailleurs que les sociétés à statut représentent environ 22'000 emplois directs et 61'000 emplois directs, indirects et induits (22,2% du total). Ces sociétés et leurs collaborateurs directs génèrent en outre CHF 1,1 milliard d’impôts cantonaux et communaux.
Nos voisins vaudois ont parfaitement saisi les enjeux en adoptant à plus de 87%, lors de la votation populaire du 20 mars 2016, le principe d’un taux d’imposition unique à 13,79%. Si par malheur Genève échouait dans sa réforme, l’exode des entreprises au-delà de la Versoix serait alors aussi massif qu’irrévocable.
Qui pourrait raisonnablement prendre le risque de devoir assumer un refus au Grand Conseil ou devant le peuple ?
Opinion publiée dans "Le Temps" - 12 septembre 2016