Lundi 13 Avril 2015

Echange automatique d’informations : le respect des principes et de la réalité du terrain

Dans un monde où la fiscalité occupe le devant de la scène, il se justifie de faire le point sur les perspectives en matière d’échange automatique de renseignements. A l’instar de dizaines d’autres Etats, la Suisse a déclaré en mai 2014 qu’elle entendait appliquer le standard élaboré par l’OCDE. Afin de concrétiser cette intention, le Conseil fédéral a ouvert en janvier 2015 deux procédures de consultation qui s’achèveront le 21 avril prochain.

La première procédure porte sur la ratification par notre pays de la Convention de l’OCDE et du Conseil de l’Europe au sujet de l’assistance administrative en matière fiscale et la seconde concerne la participation de la Suisse à la Convention multilatérale en matière d’échange automatique de renseignements ainsi que la Loi fédérale sur l’échange international automatique de renseignements en matière fiscale.

En d’autres termes, la Suisse souhaite se doter des bases légales nécessaires afin que les établissements financiers suisses puissent, dès 2017, commencer à collecter les données concernant les comptes des contribuables étrangers. Un premier échange de renseignements pourrait ainsi avoir lieu en 2018. Le calendrier dépendra évidemment du rythme auquel avanceront les travaux du Parlement fédéral, qui sera impliqué dans toutes les étapes du processus, ainsi que d’un éventuel référendum.

Concrètement, les données requises au sujet des titulaires de comptes et de leurs relations bancaires seront collectées par les intermédiaires financiers et transmises aux autorités fiscales suisses. Ces dernières les échangeront ensuite avec leurs homologues dans les Etats avec lesquels la Confédération aura conclu un accord de coopération.

Compte tenu du caractère éminemment globalisé de sa place financière, notre pays sera naturellement très concerné par cet échange automatique d’informations. Rappelons à cet égard que notre pays détient à l’heure actuelle une part de marché de 25% dans la gestion de fortune privée transfrontalière. Il est donc crucial que le système adopté chez nous puisse être mis en place de manière pragmatique.

Pour appliquer ce système, la Suisse devra conclure des accords bilatéraux. Le choix des Etats concernés devra faire l’objet d’une analyse pointue. Le Conseil fédéral a fait savoir qu’il entendait entamer des négociations en priorité avec les membres de l’Union européenne et les Etats-Unis, ce qui peut se comprendre. Concernant les autres pays, la Suisse devra faire preuve de prudence. Elle devra ainsi se montrer attentive au respect par ces partenaires potentiels des principes fondamentaux de l’état de droit et accorder la préférence à des pays avec lesquels elle entretient d’étroites relations économiques et politiques. Ces Etats devront également mettre à disposition des clients concernés des possibilités adéquates pour régulariser le passé.

A ces critères, il est impératif d’en ajouter deux autres : celui de l’accès au marché et celui de la coordination internationale. Il ne serait en effet pas logique que la Suisse pratique l’échange automatique avec un pays si les principales places financières concurrentes ne font pas de même. L’égalité de traitement (« level playing field ») et la compétitivité de notre place financière devront être au cœur des négociations.

Parmi les autres critères à respecter, le principe de la spécialité revêtira une place particulière. Il faudra s’assurer que les données récoltées ne seront utilisées qu’à des fins fiscales.

Au-delà de ces grands principes juridiques qui constituent la base d’un Etat de droit, des considérations plus prosaïques ne sauraient être occultées dans ce débat. La prise en compte de la réalité du terrain constitue l’une des clés de la réussite de l’exercice. La concrétisation de l’échange automatique va entraîner d’importants bouleversements pour les établissements bancaires, qui font déjà face à de nombreux défis réglementaires. Les banques devront notamment engager des investissements significatifs afin d’adapter leurs systèmes informatiques. L’Association suisse des banquiers estime que les coûts de mise en œuvre pour les banques se situent dans une fourchette de CHF 300 à 600 millions. Les accords bilatéraux devront répondre à un schéma le plus homogène possible afin que les informations requises puissent être standardisées.

L’OCDE a choisi de favoriser l’échange automatique d’informations pour lutter contre l’évasion fiscale dans le monde. Les banques sont favorables à l’application de ce système, même s’il n’est pas parfait. Une norme mondiale unique a maintenant été développée et la Suisse a participé activement à son élaboration. Il faut toutefois garder à l’esprit que les habitants de notre planète ne bénéficient pas tous d’un Etat de droit leur garantissant les mêmes libertés fondamentales et les mêmes protections. Il faudra donc convenir d’une attitude commune face à ces situations pour éviter de nous retrouver seuls face à des pressions qui pourraient nous mettre dans une position concurrentielle défavorable. Il en va à la fois de la sécurité du droit et de l’attractivité de notre place financière. Ne perdons pas de vue que ce secteur économique, qui compte environ 200 000 collaboratrices et collaborateurs, contribue pour plus de 10 % au PIB suisse et participe activement à la prospérité de notre pays !

Opinion publiée dans "Le Temps" - 13 avril 2015

 

Nicolas Pictet Président FGPF