Monday 13 May 2024

Taxe sur les transactions financières: un miroir aux alouettes !

L’introduction d’une taxe sur les transactions financières ne constitue pas une solution adaptée au financement de la 13ème rente AVS. Comme le capital est volatil et mobile, le risque est réel qu'une grande partie des transactions se déplace à l'étranger, avec un impact notamment sur les recettes fiscales du canton.

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Le 3 mars 2024, le peuple suisse a accepté par 58,2% des voix l’Initiative pour une 13ème rente AVS. Sa mise en œuvre est prévue pour 2026 et nécessite un financement à hauteur de 4 à 5 milliards de francs par année. Pour couvrir ces coûts, certains ont émis l’idée d’introduire une taxe sur les transactions financières (TTF). Toutefois, les promoteurs de ce projet restent en l’état peu diserts sur les contours précis que devraient prendre cette nouvelle ponction fiscale.

Micro-taxe, maxi-danger

La TTF pourrait être perçue sous forme de micro-taxe frappant à un taux très bas tous les transferts de fonds effectués en Suisse. Selon les statistiques de la BNS, pour le seul mois de mars 2024, le système de paiements SIC a enregistré plus de 80 millions de transactions pour un volume total de capitaux échangés d’environ 4'500 milliards de francs. Sur une année, le trafic des paiements dépasse donc allègrement les 50'000 milliards de francs. Certains diront que le fait de percevoir une taxe de 0,01% sur ces sommes stratosphériques serait indolore et rapporterait plus de 5 milliards de francs par an. Rien n’est moins sûr ! En effet, les capitaux sont par nature extrêmement volatils et il y a fort à parier que les entreprises suisses, qui génèrent le plus grand volume de transferts, effectueront leurs opérations hors de Suisse pour éviter cet impôt.

Genève serait particulièrement impacté. En effet, le canton héberge sur son sol une Place financière importante ainsi qu’une intense activité de négoce de matières premières générant à elles seules plus de 30% du PIB cantonal ainsi que des volumes de transactions considérables. L’introduction d’une micro-taxe porterait un rude coup à l’attractivité économique cantonale. Dans cette équation, il ne faut pas perdre de vue que l’excédent de recettes fiscales de près de 2 milliards de francs engrangé à Genève en 2023 provient essentiellement des deux secteurs précités, ainsi que de l’horlogerie. Il faut donc se garder de tuer la poule aux œufs d’or !

En outre, si les principales transactions financières fuient le pays et sa micro-taxe, cette dernière ne sera plus assumée que par la population suisse, à travers une ponction sur le paiement des salaires, des loyers, etc. A cela s’ajoute que le taux de perception devra être beaucoup plus élevé pour compenser la perte des opérations effectuées par les entreprises.

Le peuple suisse ne s’est d’ailleurs pas laissé tenter par cette aventure. En effet, en 2021, l’initiative « Micro-impôt sur le trafic des paiements sans espèces » a échoué, faute d’avoir pu récolter un nombre de signatures suffisant.

Taxe sur les transactions boursières : les caisses de pension pénalisées

Une autre option serait de limiter la taxe aux seules transactions boursières. Mais la Suisse perçoit déjà depuis 1918 un droit de timbre de négociation qui touche les actions, les obligations ainsi que les fonds suisses et étrangers. Cet impôt constitue aujourd’hui un handicap en comparaison internationale. Pour récolter les 5 milliards de francs nécessaires au financement de la 13ème rente AVS, il faudrait en augmenter le taux ou en élargir l’assiette de manière conséquente. Le succès d’une telle opération serait pour le moins aléatoire. En effet, le capital est l’un des facteurs économiques les plus mobiles à l’échelle mondiale et se montre donc très sensible aux variations de prix. L’introduction d’une TTF sur les transactions boursières pourrait par conséquent provoquer un exode massif des opérations en bourse hors de Suisse. Un affaiblissement du marché suisse des capitaux affecterait le financement et les investissements des entreprises helvétiques. Leur dépendance vis-à-vis des marchés étrangers s’en trouverait augmentée.

Cette fuite des capitaux ne relève pas du fantasme. Elle s’est réalisée en pratique lorsque, dans les années 80, la Suède a taxé les transactions sur les actions, puis celles sur les obligations. Le Gouvernement dut mettre fin à cette expérimentation en 1991, face à l’effondrement du volume des opérations, qui s’étaient quasiment toutes délocalisées à Londres.

Mais même à admettre que cette hémorragie ne se produise pas en Suisse, il n’en reste pas moins qu’une TTF est, comme le marché des capitaux lui-même, très imprévisible. Elle n’est donc pas adaptée au financement pérenne de dépenses orientées vers le long terme à l’instar des rentes de l’AVS. De plus, ce n’est pas la banque qui, au final, devrait supporter la TTF, mais bien son client. Ainsi, les caisses de pension suisses compteraient parmi les principales débitrices de cette taxe. Il est profondément injuste de vouloir pénaliser le 2ème pilier afin de renforcer le 1er !

Enfin, du point de vue de la politique fiscale, la TTF est critiquable, dans la mesure où elle ne tient pas compte de la capacité contributive des acteurs économiques visés, car ni le bénéfice, ni le revenu, ni la fortune ne servent de base de calcul pour la perception de l’impôt.

Pour conclure, on relèvera que le Conseil fédéral n’a pas retenu la proposition de TTF dans ses pistes de financement de la 13ème rente AVS présentées le 27 mars 2024. Le Gouvernement a eu l’occasion d’évoquer à plusieurs reprises ses doutes sur la pertinence d’une telle méthode. En cela, il est rejoint par de nombreux Professeurs d’universités, dont en particulier Xavier Oberson (Genève), Aymo Brunetti (Berne) et Nils Soguel (IDHEAP – Lausanne). Ce dernier a d’ailleurs récemment déclaré ce qui suit dans les médias : « Je vous fiche mon billet que si la Suisse introduit une telle taxe, seule dans son coin, les transactions financières ne vont plus se faire depuis Genève ou Zurich. Cela profitera à Francfort, New York, Paris ou Singapour. Seule l’adoption de cette taxe à l’échelle mondiale ferait sens. Car, même si l’on ne parle ici que de quelques centimes par transaction, cela portera sur des millions d’opérations et représentera, in fine, des milliards de francs. En vérité, la Suisse se tirerait une balle dans le pied en pénalisant son secteur bancaire, déjà fragilisé ». CQFD.

Opinion publiée dans "Le Temps" - 13 mai 2024

Denis Pittet Président de la Fondation Genève Place Financière