Auparavant gage de qualité, le perfectionnisme suisse devient un handicap. Si une réglementation stricte est nécessaire, elle doit rester sensée et adaptée. Notre pays serait bien avisé d’appliquer une neutralité réglementaire.
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Dans la dernière édition du Global Wealth Report du Boston Consulting Group (BCG), publiée fin juin, la Suisse caracole toujours en tête du palmarès des places financières classées selon le volume d’actifs transfrontaliers. Avec 2'400 milliards de dollars d’actifs appartenant à des personnes étrangères et gérés en Suisse, notre pays devance Hong Kong (2'200 milliards de dollars) et Singapour (1'500 milliards de dollars).
Pour conserver son statut de leader, notre pays doit toutefois éviter de se lancer dans une surenchère réglementaire, communément appelée « Swiss Finish ». Les deux dossiers les plus brûlants du moment permettent d’illustrer ce propos.
Reprise du Credit Suisse par UBS
La débâcle du Credit Suisse a provoqué un véritable séisme.
Le monde politique a immédiatement réagi en déposant de nombreux textes portant en particulier sur l’augmentation des fonds propres et sur le système de rémunération des banques.
Concernant les fonds propres, les standards internationaux sont fixés par le Comité de Bâle et sont appliqués au niveau mondial. Si la Suisse venait à imposer des exigences supplémentaires, cela aurait pour conséquence de pénaliser les établissements helvétiques face à leurs concurrents. De plus, la constitution de ces fonds propres entraîne des coûts, qui seront immanquablement répercutés sur les clients, à travers notamment un renchérissement des crédits, qu’ils soient commerciaux ou hypothécaires. Enfin, il est de notoriété publique que les problèmes rencontrés par le Credit Suisse n’étaient pas imputables à un manque de fonds propres, mais bien à une perte de confiance.
A propos des rémunérations, le Conseil fédéral a décidé en mars 2023 de suspendre provisoirement les rémunérations variables différées de Credit Suisse. En avril, le Conseil fédéral a pris des mesures définitives drastiques pour supprimer ou réduire les rémunérations variables que la banque doit encore aux membres de ses trois échelons de conduite les plus élevés et examine les possibilités d’exiger la restitution des rémunérations variables déjà versées. A cela s’ajoute la Circulaire de la FINMA qui prévoit qu’en cas de mauvaise marche des affaires, le pool global des rémunérations variables doit être réduit de manière décisive, voire supprimé.
L’arsenal juridique permettant d’éviter des rémunérations excessives existe d’ores et déjà en Suisse. Notre pays doit ainsi se garder de réagir de manière émotionnelle et d’adopter des règles supprimant de manière disproportionnée et non différenciée les rémunérations variables. Cela créerait, d’une part, une distorsion de concurrence et aurait, d’autre part, pour corolaire une augmentation sensible des rémunérations fixes, une perte de flexibilité et d’agilité peu souhaitable pour les entreprises en particulier en période de récession.
Sanctions dans le cadre de la guerre en Ukraine
Suite à la guerre en Ukraine, unanimement condamnée par notre Place financière, la Suisse a repris les paquets de sanctions successifs prononcés par l’Union européenne (UE). Dans ce monde multipolaire où les tensions géopolitiques s’accroissent de manière exponentielle, il est intéressant de noter que 9 membres du G20 n’ont, à ce jour, imposé aucune sanction. A ce titre, on peut notamment citer les places financières de Hong Kong ou Dubaï.
Ces sanctions helvétiques alignées sur l’UE prévoient le gel des avoirs de plus de 1'300 personnalités et entités. A fin novembre 2022, les actifs financiers bloqués en Suisse s’élevaient à 7,5 milliards de francs, soit 6 fois plus que la France et 3 fois plus que l’Allemagne.
Plusieurs voix se sont faites entendre pour réclamer la confiscation de ces avoirs et ont conduit le Conseil fédéral à clarifier la situation. Celui-ci a clairement rappelé que le droit suisse n’autorise pas l’expropriation d’avoirs privés sans indemnisation, du moment que leur origine n’est pas illégale. Cette confiscation est notamment contraire au respect du droit de la propriété. Certains argumentent cependant qu’il faudrait suivre l’exemple de l’UE. Or, la Présidence suédoise de l’UE a déclaré en avril 2023 que « des avoirs privés gelés ou saisis ne peuvent être confisqués que si une infraction pénale a été commise et que la personne a été condamnée par un tribunal dans le respect de l’Etat de droit ». Berne suit donc la même ligne que Bruxelles.
La Confédération devrait en outre mettre en cause le bien-fondé des travaux de la « Commission d’Helsinki », agence créée par le Sénat en 1976 et composée de représentants du Congrès américain, qui adopte des positions très critiques vis-à-vis de la Suisse en lien avec l’application des sanctions contre la Russie. Cette agence, qui ne représente pas le Gouvernement étasunien, a procédé, le 18 juillet, à des auditions à charge et accusatrices. Notre système judiciaire suisse serait corrompu par la Russie et notre pays serait le maillon faible dans la coalition des démocraties qui œuvrent à sanctionner la Russie !
Le Conseil fédéral se doit de rétablir la vérité sur la diligence dont la Suisse et sa Place financière font preuve dans ce dossier, en lien étroit avec le SECO, et d’œuvrer pour le respect et la promotion des valeurs fondamentales de notre pays tels que l’Etat de droit et la démocratie directe.
Les développements qui précèdent démontrent que la Suisse dispose des cautèles nécessaires pour combattre les rémunérations excessives et qu’elle applique avec toute la rigueur requise les sanctions contre les personnalités et entités sous embargo. Mais, pour certains, cela n’est pas suffisant. A leurs yeux, il faut bannir les rémunérations variables et confisquer les avoirs gelés. Peu importe si notre pays s’écarte des principes juridiques fondamentaux d’un Etat de droit. Et peu importe si la Suisse s’inflige de manière unilatérale des désavantages compétitifs. Or, en matière de cadre juridique notre pays serait bien avisé de respecter le principe d’une neutralité réglementaire. Il doit aussi tenir compte de la réalité d’une concurrence féroce qui conduit à des attaques tous azimuts pour l’obtention de parts de marché. La naïveté n’a pas sa place dans ce débat.