En voulant imposer à 100% les dividendes dans un canton qui est déjà le champion suisse des recettes fiscales par habitant, l’Initiative 179 menace frontalement la création de valeurs et l’esprit entrepreneurial à Genève.
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Le 12 mars 2023, le peuple genevois sera appelé à se prononcer sur l’Initiative 179 (IN179) intitulée « Contre le virus des inégalités…Résistons ! Supprimons les privilèges fiscaux des gros actionnaires ».
Si parler d’impôts est souvent un sujet complexe et émotionnel, il me paraît utile et nécessaire de rappeler quelques vérités rationnelles.
Impôts et démocratie sont indissociables comme le relevait déjà Montesquieu, mais le point d’équilibre est subtil et fragile. Pour permettre à l’Etat d’offrir des prestations fondamentales telles que sécurité, santé et éducation, celui-ci se finance soit via une augmentation de sa dette, soit à travers le prélèvement d’impôts. Ce binôme entre prélèvement auprès du citoyen et prestations par l’Etat garant de l’équilibre social, existe depuis des siècles. Des mots tels qu’entreprise, bénéfice ou dividende, ne peuvent pas être cloués au pilori et méprisés. Il faut au contraire se réjouir, se féliciter et soutenir une économie forte qui contribue à la prospérité générale et à la cohésion sociale.
Aujourd’hui, dans le canton de Genève, le dividende est imposé, au titre de revenu de l’actionnaire, à hauteur de 70%, si celui-ci détient au moins 10% des actions de la société dans sa fortune privée. Cet abattement a pour but d’éviter une double imposition, dans la mesure où les montants versés en tant que dividende ont déjà fait l’objet d’un impôt sur le bénéfice au niveau de la société. L’IN 179 vise à supprimer ce principe, et à introduire une taxation à 100% des dividendes.
Les PME directement visées
Les initiants cherchent à faire croire que leur texte ne concerne que les gros actionnaires qui bénéficieraient de privilèges indus. Or, les grandes capitalisations cotées à la bourse suisse ne sont pas détenues par des individus, mais, majoritairement, par des investisseurs institutionnels. Quel contribuable, personne physique, possède plus de 10% de Nestlé ou d’UBS ? Aucun.
En réalité, l’IN 179 concerne avant tout les PME. En effet, ce sont elles qui sont généralement détenues à plus de 10% par un actionnaire. Ce dernier a souvent investi une grande partie de son patrimoine pour créer et développer sa société. A Genève, on dénombre 42'000 PME, dont les trois-quarts sont des entreprises familiales. Elles génèrent plus de 230'000 emplois.
La place financière genevoise se caractérise par la grande variété de ses modèles d’affaires. Cette caractéristique lui assure une meilleure agilité, qui lui a notamment permis de traverser les dernières crises en subissant moins de dommages que des places concurrentes. Le secteur bancaire et financier compte quelque 6'500 entreprises et nombreuses sont celles qui entrent dans la catégorie des PME. Ceci est vrai pour les banques de petite ou moyenne taille, mais aussi pour les gérants de fortune indépendants. Ces derniers représentent 712 entreprises et 3'341 emplois. Le même raisonnement s’applique aux fiduciaires et aux comptables qui regroupent 5'500 emplois dans 1'326 entités. Ces chiffres démontrent que l’IN 179 risque de mettre à mal un facteur de différenciation crucial pour la place financière genevoise et sa diversité.
Genève, championne de la fiscalité
En cas d’acceptation de cette initiative, Genève serait le seul et unique canton suisse à pratiquer cette double imposition économique à 100%. Dans les autres cantons, les dividendes issus de la fortune privée ne sont imposés qu’à hauteur de 50% à Zurich et à Berne, de 60% en Valais et à Neuchâtel et de 70% dans le canton de Vaud. A cela s’ajoute que tous les pays de l’OCDE ont adopté dans leur législation des mécanismes visant à la suppression, ou à tout le moins, à l’atténuation de la double imposition économique.
Or, Genève est déjà le canton qui exploite le plus son potentiel fiscal. Cet indice, calculé par la Confédération, montre dans quelle mesure la capacité économique fiscalement exploitable est, en moyenne, soumis à des redevances fiscales. Zoug se situe à 11,1%, pour une moyenne suisse de 24,3%. Avec 33,7%, Genève se positionne comme le canton le plus gourmand en impôts. Les recettes fiscales par habitant y sont aujourd’hui déjà les plus élevées. Elles atteignent plus de 17'000 francs par personnes (si l’on additionne les impôts des personnes physiques et morales), soit deux fois plus qu’à Berne et presque trois fois plus qu’à Lucerne.
En cas d’acceptation de l’IN 179, l’attractivité fiscale de Genève serait très gravement détériorée en comparaison internationale et intercantonale.
Un risque de délocalisation
A cela s’ajoute que, dans le canton du bout du lac, les entrepreneurs sont déjà soumis à une multitude d’impôts : impôt sur le bénéfice, impôt sur le capital (un cas unique dans l’OCDE), taxe professionnelle communale (une « Genferei » absolue), impôt sur le revenu (salaire et dividende de l’entrepreneur) et impôt sur la fortune pour la valeur de son entreprise (taxation de l’outil de travail qui a été abolie, même en France). Cette pléthore de ponctions fiscales a vraiment de quoi tuer tout esprit d’entreprise!
Face à une telle hausse d’impôt, des contribuables seraient tentés de déménager vers des cieux fiscalement plus cléments. Un exil dans des paradis fiscaux lointains ne serait pas nécessaire. Il suffirait de traverser la Versoix pour trouver dans le canton de Vaud une situation plus favorable. L’actionnaire concerné pourrait ainsi continuer à exploiter son entreprise à Genève, tout en résidant dans le canton voisin, occasionnant ainsi une perte fiscale pour Genève. Une fois l’actionnaire parti de Genève, il pourrait plus facilement être tenté de déplacer également le siège de son entreprise. S’il franchit ce pas, Genève, son tissu économique, ses emplois et ses recettes fiscales seraient les grands perdants.
Ne jouons pas avec le feu. Evitons que l’exil fiscal ne se transforme en exode et misons plutôt sur un renforcement de la cohésion sociale et la stabilité fiscale.
Votons NON à l’IN 179 le 12 mars prochain !