Rien de mieux que les « fake news » pour renforcer de vieux clichés ! C’est ce moyen qu’utilisent les détracteurs de la place financière suisse pour discréditer le travail accompli par notre pays dans la lutte contre l’évasion fiscale. Or, la Suisse est bel et bien passée de la parole aux actes et n’a pas à rougir de sa politique fiscale.
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Dans son édition du 5 novembre 2022, « Le Temps » a largement ouvert ses colonnes à Paul Tang, Président de la sous-commission du Parlement européen sur les questions fiscales. Cet eurodéputé néerlandais, membre du groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates, a cru bon de colporter de fausses informations relatives à la place financière suisse. Il a notamment déclaré « Et dans la gestion de fortune, il existe toujours une industrie de l’évasion fiscale ». Plus loin, il ajoute qu’«il reste facile de cacher l’identité des véritables bénéficiaires de certains véhicules financiers en Suisse».
Ces propos dénotent une méconnaissance crasse du dispositif helvétique en matière d’identification de la clientèle, d’échange automatique de renseignements et de lutte contre le blanchiment d’argent, voire d’une confusion accablante avec son propre pays.
La Suisse : pionnière dans l’identification des clients
En 1977, les banques suisses ont adopté une Convention de diligence (CDB) qui définit les règles impératives applicables en matière d’identification de la clientèle. Cette autoréglementation a déjà bénéficié de neuf révisions et contient aujourd’hui des dispositions précises visant à identifier le cocontractant lors de l’établissement d’une relation d’affaires. Mais l’analyse ne s’arrête pas là. La banque doit aussi déterminer qui est le véritable ayant droit économique des avoirs, ou autrement dit, qui détient le contrôle effectif. L’utilisation d’une société de domicile (ou société « offshore ») ou d’un trust, institution largement répandue et issue du droit anglo-saxon, ne dispense en aucun cas la banque de rechercher le bénéficiaire qui se trouve derrière ces structures.
Rares sont les pays qui vont aussi loin dans la procédure d’identification de la clientèle. Aux Etats-Unis, par exemple, l’identification des véritables bénéficiaires économiques n’en est qu’à ses balbutiements. En février 2022, la « Neue Zürcher Zeitung » relevait que le Delaware abritait plus de 1,5 million de sociétés « offshore » et que le Nevada, le Texas ou encore le Wyoming offraient des structures similaires. Une nouvelle loi, le « Corporate Transparency Act », a certes été adoptée récemment et est censée forcer les sociétés américaines à identifier leurs bénéficiaires effectifs. Mais beaucoup d’exceptions sont prévues.
Echange automatique de renseignements : la Suisse applique les standards internationaux
L’échange automatique de renseignements (EAR) a été élaboré par l’OCDE et définit la manière dont les autorités fiscales des pays participants échangent entre elles des données relatives aux comptes et aux dépôts de titres détenus par leurs contribuables. L’objectif est d’assurer la transparence fiscale envers l’étranger. La Suisse applique le standard de l’OCDE depuis 2017. En 2022, la Suisse avait activé l’EAR avec plus de 100 Etats ou juridictions. Au total, notre pays a transmis 3,3 millions de comptes financiers à 96 Etats et en a reçu 2,1 millions. La Confédération participe donc pleinement à ce mouvement mondial destiné à combattre l’évasion fiscale.
L’OCDE a procédé à un examen du cadre juridique mis en place par les 102 premiers Etats participants, dont la Suisse. Dans son rapport, l’OCDE constate l’adéquation globale du dispositif helvétique et émet des critiques sur quelques points de détail, à savoir principalement les exceptions accordées aux associations à but non commercial et aux fondations caritatives.
Dans ce contexte, on relèvera que les Pays-Bas, dont M. Tang est ressortissant, occupent la tête du classement sur l’évasion fiscale dans le monde, établi par l’ONG Tax Justice Network en novembre 2020, avec un montant de 36 milliards de dollars de recettes fiscales soustraites chaque année aux autres Etats.
Lutte contre le blanchiment d’argent : un arsenal efficace
La mise en œuvre des Recommandations révisées du Groupe d’action financière (GAFI) a rendu nécessaire le fait que certaines infractions en matière d’impôts directs deviennent des infractions préalables au blanchiment d’argent. Concrètement, les intermédiaires financiers doivent examiner si les fonds pourraient provenir d’une telle infraction fiscale et, le cas échéant, procéder à la communication des soupçons de blanchiment d’argent à l’autorité compétente.
En Suisse, le législateur fédéral a adopté une norme correspondante dans le Code pénal suisse et dans la Loi sur le blanchiment d’argent. La Confédération s’est donc conformée aux standards internationaux, ce que le GAFI a confirmé dans son rapport de suivi consacré à la Suisse en la jugeant « largement conforme ».
Là encore, il est cocasse de constater qu’un eurodéputé néerlandais se garde bien de mentionner que le GAFI a pointé du doigt les graves lacunes des Pays-Bas en matière d’identification des ayants droit économiques et de trusts étrangers dans son rapport publié en août 2022.
Cessons de nous autoflageller !
Les éléments qui précèdent démontrent qu’en comparaison internationale, la Suisse n’a pas à rougir de sa politique fiscale.
Bien sûr, le risque zéro n’existe pas et la Place financière ne pourra pas empêcher que, parfois, une affaire d’évasion fiscale n’éclate au grand jour. Cela est inhérent à sa position de leader dans le domaine de la gestion de fortune transfrontalière, avec une part de marché de près de 25% et des actifs sous gestion supérieurs à CHF 8'800 milliards en 2021.
Mais il est fondamentalement erroné de généraliser des cas isolés, comme le fait pourtant l’eurodéputé néerlandais M. Tang. Il est malheureusement illusoire de penser que nous parviendrons à changer les mentalités de leaders politiques étrangers qui, selon la parabole, préfèrent voir la paille dans l’œil de la Suisse, plutôt que la poutre dans celui de leur propre pays.
Opinion publiée dans "Le Temps" - 9 janvier 2023