L’impôt anticipé freine le développement de la finance durable!
Comment accélérer en Suisse la transition vers une économie plus résiliente et durable? La réforme de l’impôt anticipé soumise à votation le 25 septembre prochain apporte une réponse à cette question. Un « OUI » contribuera à l’émission d’obligations vertes dans notre pays, en permettant de rapatrier des activités actuellement pratiquées sur des places concurrentes.
Afin de devenir la référence en matière de finance durable, la Suisse est en train de se doter d’un cadre juridique et réglementaire permettant le développement de cette activité en évitant l’écueil de l’éco-blanchiment (« greewashing »).
A cet égard, l’Association suisse des banquiers (ASB) a publié fin juin 2022 deux autoréglementations pour les prestataires de services financiers. La première porte sur l’intégration des préférences ESG et des risques ESG dans le conseil en placement et en gestion de fortune. La seconde concerne les fournisseurs de crédits hypothécaires et vise l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments.
De son côté, la Confédération vient d’élaborer avec la branche six « Swiss Climate Scores » visant à établir des bonnes pratiques de transparence afin de rendre les produits financiers compatibles avec les objectifs climatiques tels que définis dans l’Accord de Paris.
Cette ambition du Conseil fédéral ressort déjà d’un Rapport de juin 2020 intitulé « Le développement durable dans le secteur financier en Suisse ». Dans ce document volontariste, le Gouvernement considère la finance durable comme une grande chance pour la place financière suisse et un facteur de compétitivité majeur en matière de croissance durable.
Parmi les outils permettant d’atteindre cet objectif, le Conseil fédéral évoque expressément l’émission en Suisse d’obligations vertes (les « greenbonds »). Contrairement aux emprunts traditionnels, les capitaux mobilisés au moyen d’obligations vertes ne peuvent servir qu’au financement de projets ayant un impact positif sur l’environnement. Il peut notamment s’agir de promouvoir les énergies renouvelables, l’augmentation de l’efficacité énergétique, le maintien de la biodiversité ou encore la construction de bâtiments respectueux de l’environnement.
Le Conseil fédéral est allé plus loin dans sa démarche. Il a décidé de lancer son premier emprunt fédéral vert à l’automne 2022, dans l’optique de motiver les acteurs du secteur privé à émettre eux aussi des « greenbonds ».
L’impôt anticipé : un obstacle de taille
La place financière suisse dispose ainsi de presque tous les atouts pour devenir la référence en matière de finance durable. Les statistiques publiées en juin 2022 par Swiss Sustainable Finance (SSF) sont éloquentes : le volume des placements durables en Suisse a progressé de 30% entre 2020 et 2021, pour atteindre environ 1'980 milliards de francs. Cette évolution spectaculaire ne dit toutefois rien sur le lieu d’émission des produits financiers durables distribués dans notre pays. C’est là que le bât blesse, en particulier pour les obligations vertes.
En effet, un grain de sable vient enrayer cette belle mécanique : l’impôt anticipé.
La Suisse applique cet impôt anticipé sur les revenus d’intérêts, notamment sur ceux générés par des obligations vertes. Le taux de 35% est le plus élevé au monde. Cette ponction fait figure d’épouvantail, en particulier pour les investisseurs étrangers. Ces derniers peuvent en principe réclamer le remboursement de ces 35%, mais cela implique une procédure administrative compliquée.
Les caisses de pensions suisses, qui seraient enclines à investir dans des obligations vertes, ne paient pas d’impôt. Dans leur cas, il est donc absurde de percevoir cette retenue de 35%. Un tiers de leurs revenus d’intérêts est ainsi inutilement bloqué d’une année sur l’autre et ne peut être investi au bénéfice des assurés.
L’impôt anticipé a donc pour conséquence directe le fait que les investisseurs institutionnels et étrangers évitent comme la peste les obligations, traditionnelles ou vertes, émises en Suisse.
Pour les « greenbonds », les chiffres sont sans appel : à fin mars 2022, seules 75 obligations vertes étaient cotées à la bourse suisse, pour un volume total d’à peine 25 milliards de francs. Pendant ce temps, au Luxembourg, la bourse héberge déjà plus de 1'300 « greenbonds » pour un montant supérieur à 675 milliards d’euros. Le rapport de force est donc de 1 à 27 en faveur du Grand-Duché ! Mais il y a pire, sur les quelque 75 obligations vertes cotées en Suisse, les plus importantes ont été émises à l’étranger.
Une réforme indispensable
Il est consternant qu’un pan entier de l’activité liée à la finance durable échappe ainsi à la Suisse, qui aurait pourtant toutes les compétences requises et l’infrastructure boursière nécessaire pour devenir un émetteur majeur d’obligations vertes.
Afin de supprimer ce désavantage compétitif, le Parlement fédéral a voté une réforme de l’impôt anticipé qui prévoit d’abolir cette retenue sur les revenus d’intérêts des obligations suisses. L’impôt anticipé sera en revanche maintenu sur les dividendes et sur les revenus d’avoirs en banque appartenant à des personnes physiques résidentes en Suisse.
Cette exonération ne sera valable que pour les nouvelles obligations, émises à compter du 1er janvier 2023. Cet étalement dans le temps permettra de limiter l’impact de la réforme sur les rentrées fiscales. En revanche, l’incitation à lancer des emprunts obligataires en Suisse sera immédiate.
Malheureusement, un référendum a été lancé contre cette abolition partielle de l’impôt anticipé et le peuple suisse sera amené à se prononcer à ce sujet le 25 septembre.
Dans la campagne, on constate que les opposants à la réforme ne sont pas à une contradiction près. D’un côté, ils estiment que la Suisse ne va pas assez loin en matière de finance durable et, de l’autre, ils veulent maintenir coûte que coûte l’impôt anticipé sur les intérêts des obligations, empêchant ainsi le développement dans notre pays du segment porteur des « greenbonds ».
Espérons que les citoyennes et les citoyens suisses saisiront toute l’importance de cette réforme pour l’émergence des obligations vertes en Suisse et qu’ils ne laisseront pas à d’autres places financières le champ libre dans ce domaine.
Il faut donc voter OUI le 25 septembre à la réforme de l’impôt anticipé !
Opinion publiée dans "Le Temps" - 5 septembre 2022