Genève bénéficie d’un tissu économique solide qui génère des recettes fiscales considérables, vitales pour les finances publiques. C’est la raison qui conduit l’agence Standard & Poor’s à noter favorablement le canton. Le dynamisme genevois est toutefois à la merci d’une rupture d’un équilibre fiscal très fragile.
Document only in French
Le rapport de l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P), publié fin 2021, est passé inaperçu aux yeux du public. Or, S&P accorde le rating AA-/Stable/-- au canton de Genève. Cette analyse est riche d’enseignements et présente l’avantage de se fonder sur des données objectives et non pas politiquement biaisées.
Un tissu économique solide pour affronter la pandémie
Selon l’agence précitée, l’impact budgétaire de la pandémie devrait être modéré pour les années 2021 à 2023. En effet, le PIB de la Suisse n’a pas été aussi affecté en 2020 que celui d’autres Etats européens et il faut s’attendre à un fort rebond en 2021 et 2022. S&P relève par ailleurs que la croissance du PIB genevois a dépassé la moyenne nationale depuis 2017.
Pour S&P, ces perspectives favorables sont notamment imputables à des secteurs à forte valeur ajoutée comme la chimie, l’horlogerie et la finance. L’agence relève que cette économie dynamique et résiliente face au Covid-19 assure à Genève un substrat fiscal solide, tant de la part des entreprises que des personnes physiques.
Les chiffres sont éloquents : pour une population d’à peine 500'000 habitants, Genève prévoit des revenus fiscaux supérieurs à 7,3 milliards de francs en 2022, dont 4,5 milliards pour les personnes physiques et 1,3 milliards environ pour les personnes morales. Par rapport à 2021, le canton anticipe en 2022 une hausse de rentrées fiscales de 462 millions!
Des charges élevées et un endettement abyssal
S&P observe que malgré des outils de monitoring et de contrôle très sophistiqués et malgré des documents de planification à long terme, des difficultés existent dans la mise en place de réformes structurelles afin de réduire les coûts et les engagements futurs.
Ce constat dressé par l’agence de notation peut être illustré par le niveau des dépenses prévues dans le projet de budget 2022 du Conseil d’Etat, refusé depuis lors par le Grand Conseil. Les charges de fonctionnement atteignent presque 9,5 milliards de francs. Ce n’est donc pas un hasard si une étude publiée par le très sérieux Institut BAK Economics AG à Bâle relève que Genève affiche des dépenses nettes par habitants supérieurs de 89% à la moyenne des 25 autres cantons suisses.
En lien avec les engagements futurs, S&P évoque la difficulté à réformer le plan de prévoyance (CPEG), et à passer du système de primauté des prestations à celui de la primauté des cotisations.
Des dépenses publiques élevées et des engagements considérables liés à la Caisse de pension de l’Etat de Genève (CPEG) contribuent à rendre l’endettement du canton préoccupant. Dans son rapport, Standard & Poor’s intègre dans le montant de la dette l’intégralité des engagements pour la recapitalisation de la CPEG qui atteignent 5,3 milliards de francs. Ainsi, selon l’agence de notation, cette dette devrait atteindre 17,6 milliards de francs à fin 2022. Avec environ 35'000.- par habitant, cela constitue un record absolu en Suisse.
Une pyramide fiscale fragile
Il a été démontré ci-dessus que grâce à un tissu économique dynamique et résilient, Genève bénéfice de recette fiscales considérables. Toutefois, ces impôts reposent sur une pyramide fragile. En effet, concernant les entreprises, 0,5% des sociétés paient 71% de l’impôt sur le bénéfice et 1,9% d’entre elles assure 90% de l’impôt sur le capital. Pour les personnes physiques, 4,2% des contribuables génèrent 48% de l’impôt sur le revenu et 3% paient 81,5% de l’impôt sur la fortune.
Genève pratique en permanence un exercice d’équilibrisme, entre des recettes fiscales considérables et un train de vie dispendieux en comparaison intercantonale. En tant que funambule, le canton doit se garder de trop tirer sur la corde de la fiscalité, au risque de continuer à faire fuir ses contributeurs les plus importants.
Il est en particulier indispensable de conserver le régime attractif obtenu grâce à la Réforme de la fiscalité des entreprises (RFFA). Cette dernière a introduit un taux d’imposition de 14% sur les bénéfices. Il conviendra donc de se montrer très attentif à la manière dont la Suisse et Genève vont mettre en place la révolution fiscale élaborée à l’OCDE, qui vise un taux minimum d’imposition de 15% pour les multinationales dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 750 millions de francs.
Parmi les fleurons du tissu économique genevois qui seront touchés par cette hausse d’impôts, on trouve notamment des entreprises en main privées actives dans la chimie, l’horlogerie, la finance et le négoce de matières premières.
L’Initiative 179 : une menace concrète
Or, l’Initiative 179 intitulée « Contre le virus des inégalités… Résistons ! Supprimons les privilèges fiscaux des gros actionnaires » a précisément ces sociétés en ligne de mire. Ce texte vise à introduire à Genève une double imposition intégrale des distributions de dividendes. Pour rappel les bénéfices générés par une entreprise sont frappés une première fois par l’impôt sur le bénéfice. Ces profits sont touchés une seconde fois lors de la distribution aux actionnaires, au titre de l’impôt sur le revenu. Pour atténuer cette double imposition, la Confédération et les cantons n’imposent que partiellement les distributions aux actionnaires, pour autant qu’ils disposent d’une participation d’au moins 10% dans l’entreprise. Aujourd’hui, tous les cantons, sans exception, prévoient une telle atténuation. A Genève, ces distributions de dividendes sont imposables à hauteur de 70% au maximum, comme dans le canton de Vaud voisin.
Il faut espérer que les citoyennes et les citoyens genevois sauront, le moment venu, rejeter l’Initiative 179. En cas d’acceptation, ce texte infligerait à Genève un désavantage compétitif majeur par rapport aux autres cantons suisses. Il y aurait alors fort à parier que, dans ses prochains rapports, Standard & Poor’s constate une brèche béante dans le dynamisme économique cantonal.