Monday 12 July 2021

Entre vents contraires et courants ascendants : vers quel équilibre ?

Une vision dynamique de la question européenne, le maintien d’une fiscalité attractive pour les entreprises et la mise en place de conditions-cadres favorables au développement de la finance durable contribueront à la prospérité de notre économie et de notre société.

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En cette période estivale, il se justifie de faire le point sur plusieurs orientations stratégiques qui se dessinent en Suisse ou au-delà de nos frontières et dont l’influence sur la Place financière sera notable.

Relations bilatérales avec l’UE : éviter une mer d’huile

La Place financière s’est toujours déclarée favorable à la conclusion de l’Accord-cadre avec l’UE. Elle a pris note avec regret de la décision du Conseil fédéral de mettre fin aux négociations. Un tel Accord aurait amené une sécurité juridique avec le principal partenaire économique de la Suisse. Il aurait également pu faciliter des progrès dans le dossier des services financiers qui se trouve actuellement au point mort.

Aujourd’hui, les intermédiaires financiers helvétiques ne disposent pas d’un accès au marché européen. Cette lacune contraint les établissements à développer leurs activités dans l’UE.

Pour rappel, la Suisse est le leader mondial de la gestion de fortune transfrontalière avec une part de marché d’environ 25%. Sur ces 25%, 40% proviennent des Etats membres de l’UE. On parle de plus de CHF 1'000 milliards d’actifs.

Il est crucial pour la Place financière que la Suisse entretienne des relations apaisées avec Bruxelles. Mais le pire des scénarios serait de voir s’instaurer un calme plat dans ce dialogue, qui conduirait à une érosion de la voie bilatérale.

Le secteur bancaire et financier attend donc du Conseil fédéral qu’il adopte une vision dynamique de la question européenne, pour obtenir des avancées sur les nombreux dossiers essentiels pour la prospérité et l’emploi dans notre pays.

Fiscalité des entreprises : l’orage gronde à l’horizon

L’annonce par les pays du G7 d’un accord de principe relatif à un taux d’imposition minimal à 15% sur les bénéfices des multinationales a raisonné comme un coup de tonnerre. Un autre volet de la réforme porte sur une répartition équitable du droit d’imposer les bénéfices des entreprises implantées dans de nombreux pays.

Ce paquet de mesures vient de recevoir l’aval de 130 des 139 Etats réunis dans le « Cadre inclusif » de l’OCDE. La Confédération a déclaré y adhérer avec de sérieuses réserves. L’impact de cette révolution fiscale sur la Suisse est encore difficilement mesurable. Mais il faut relever que 18 cantons pratiquent un taux d’imposition minimal inférieur à 15%, dont ceux de Genève et de Vaud. Les négociations vont se poursuivre sur les éléments techniques jusqu’en octobre 2021, dans la perspective d’une entrée en vigueur en 2023.

La Confédération doit tout mettre en œuvre afin de préserver la compétitivité de notre pays comme lieu d’implantation pour les entreprises. Les deux Chambres du Parlement fédéral ont accompli un pas dans cette direction en approuvant l’abolition du droit de timbre d’émission sur le capital propre. Malheureusement, le Parti socialiste a d’ores et déjà annoncé le lancement d’un référendum.

Par ailleurs, le peuple suisse sera appelé à se prononcer le 26 septembre prochain sur l’Initiative des jeunes socialistes intitulée « Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital (initiative 99%) ». Ce texte entend imposer à 150% la part de revenu dépassant un certain montant, non défini pour l’instant. Il aurait pour conséquence d’introduire une double imposition intégrale des dividendes ainsi qu’un impôt sur les gains en capitaux privés.

Une acceptation de cette initiative frapperait de plein fouet les propriétaires de PME et de sociétés familiales. A Genève, par exemple, les dividendes seraient imposés à 150% au lieu de 60% ou 70% actuellement.  

L’impact serait désastreux pour la place économique suisse, dont les PME constituent le cœur.

Finance durable : un souffle porteur

La Place financière s’est engagée en faveur de la loi sur le CO2. Les votants en ont décidé autrement le 13 juin.

Cet échec dans les urnes a suscité une forte réaction des Verts et des Socialistes qui ont lancé une croisade contre l’industrie bancaire et financière. La co-présidente du PS a déclaré que le secteur financier est « la principale cause de la crise climatique ».

Cette affirmation erronée n’est étayée par aucun chiffre sérieux. Mais elle perd surtout de vue l’essentiel : les intermédiaires financiers agissent pour le compte et selon les instructions de leurs clients, qui restent titulaires des actifs investis.

Les établissements bancaires et financiers helvétiques ont mis la finance durable au centre de leurs priorités. Les dernières statistiques publiées par Swiss Sustainable Finance (SSF) démontrent que le marché des investissements durables poursuit sa forte croissance. Entre 2019 et 2020, l’augmentation des capitaux gérés selon les critères de durabilité a atteint 31% et le volume des actifs concernés dépasse les CHF 1'500 milliards.

Au lieu de jeter un anathème sur la Place financière, les deux partis précités seraient mieux inspirés de soutenir les réformes nécessaires pour transformer la Suisse en pôle d’émission d’obligations vertes (les fameux « Green Bonds »). Cela ne se fera pas sans l’abolition de l’impôt anticipé sur les intérêts, qui est actuellement débattue aux Chambres fédérales.

Les éléments qui précèdent démontrent que le maintien d’une économie et d’une Place financière compétitives ne sera pas un long fleuve tranquille. Toutefois, notre pays dispose d’atouts considérables pour faire face à ces écueils.

Ils ont été illustrés de manière éclatante par de récentes publications. Pour la 1ère fois de l’histoire, la Suisse figure en tête du classement de la compétitivité publié par l’IMD. Selon un rapport de la Commission européenne, la Suisse est le pays le plus innovant d’Europe. La BNS a étalement publié son rapport annuel sur la stabilité financière. Elle porte un regard globalement positif sur la situation des banques suisses, qui se sont montrées résilientes face à la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19.

Dans la plupart des dossiers-clés, le dernier mot reviendra au Parlement ainsi qu’aux citoyennes et aux citoyens helvétiques. Il faut espérer qu’ils sauront résister au chant des sirènes qui s’en prennent au subtil équilibre garant d’une économie et d’une société prospères.

Opinion publiée dans "Le Temps" - 12 juillet 2021

 

Yves Mirabaud Président de la Fondation Genève Place Financière