Monday 11 May 2020

Pandémie et Place financière: une indispensable mobilisation nationale

Face aux difficultés rencontrées par des milliers d’entreprises, les autorités fédérales et les banques ont travaillé main dans la main afin de mettre sur pied le programme des crédits Covid-19. Dans cet exercice d'une ampleur inédite, le secteur bancaire a prouvé sa solidité et sa capacité d'innovation.

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Le 16 mars 2020, le Conseil fédéral a qualifié de « situation extraordinaire » au sens de la Loi sur les épidémies la pandémie de coronavirus qui était en train de causer des milliers de victimes et de paralyser le monde entier. Pour tenter d’endiguer la propagation de ce fléau sur le territoire helvétique, le Gouvernement a pris des mesures drastiques concernant tous les secteurs de l’économie.

Du jour au lendemain, des centaines de milliers d’entreprises, de la PME à la multinationale, se sont retrouvées coupées de leurs clients et de leurs fournisseurs, confrontées à un manque de liquidité potentiellement létal.

Face à la crise : une réponse rapide et massive

Face à cette menace, une mobilisation sans précédent s’est mise en place sous l’impulsion du Conseil fédéral, en coordination avec l’Association suisse des banquiers (ASB), la FINMA, la BNS, les centrales de cautionnement, les différents groupes de banques et, bien entendu, les établissements bancaires eux-mêmes.

Une première enveloppe globale de CHF 20 milliards a été débloquée le 26 mars, pour être portée ensuite à CHF 40 milliards le 3 avril. Ces sommes étaient destinées à être octroyées sous forme de crédits cautionnés aux entreprises, selon deux modèles distincts :

  • Les Crédits Covid-19 : les montants jusqu’à CHF 500'000.- francs peuvent être versés par les banques selon des modalités simplifiées et sont cautionnés à 100% par la Confédération via les organisations de cautionnement. Le taux d’intérêt est actuellement de 0%.
  • Les Crédits Covid-19 Plus : au-delà de CHF 500'000.- et jusqu’à CHF 20 millions, les montants sont cautionnés à 85% par la Confédération via les organisations de cautionnement. Les demandes font l’objet d’un bref examen préalable par les banques concernées. Le taux d’intérêt atteint actuellement 0,5%.

Une demande considérable

Dès le lancement du programme, les banques suisses ont conclu en moyenne 10'000 conventions de crédit par jour. Par la suite le rythme s’est peu à peu ralenti pour se stabiliser autour de 2'000 à 3'000 demandes quotidiennes. Un mois après le début de l’opération, environ 110'000 crédits Covid-19 avaient été octroyés, pour un volume total de CHF 16,4 milliards. Sur les quelque 589'000 PME que compte la Suisse, près d’une sur cinq a recouru à cette mesure, avec un volume de crédit moyen par entreprise de CHF 149'000.-.

Pour faire face à cet afflux massif de requêtes, les banques ont dû mobiliser toutes leurs ressources humaines disponibles, dont beaucoup avaient recours au télétravail. Le travail du week-end a même été introduit, avec l’autorisation du SECO, pour gérer cette masse de demandes qui aurait pu submerger le système.

A Genève, les établissements bancaires ont répondu présents pour donner suite aux demandes de leurs entreprises clientes. Ce système décentralisé, propre au fédéralisme, a facilité les démarches car les banques de proximité connaissent déjà leurs contreparties et peuvent ainsi répondre au mieux à leurs attentes, sans formalisme ni perte de temps.

Premiers enseignements à tirer

Il est trop tôt pour faire le bilan de cette mobilisation historique en faveur du tissu économique suisse. Le programme des crédits Covid-19 ne s’arrêtera en effet qu’au 31 juillet 2020.

A ce stade, on peut déjà relever plusieurs éléments intermédiaires. En premier lieu, le pilotage du programme des crédit Covid-19 ne pouvait se faire, vu son ampleur, qu’au niveau fédéral. Les cantons ne disposent pas des leviers suffisants pour une manœuvre d’une telle envergure. Il a fallu l’impulsion du Conseil fédéral pour débloquer les CHF 40 milliards prévus, puis celle de la BNS pour assurer le refinancement des crédits et de la FINMA pour l’adaptation des mesures réglementaires. L’ASB, en tant qu’association faîtière, a assuré la coordination globale avec l’Administration fédérale, les banques, les groupes de banques et les structures faîtières locales.

Par capillarité naturelle, l’information est ensuite redescendue dans les différentes banques et succursales, dans chaque canton, jusqu’aux conseillers en contact direct avec les PME.

Deuxièmement, cette opération Covid-19 a permis de tordre le cou à un vieux mythe selon lequel le système bancaire suisse serait victime d’obsolescence technologique.

Or, dans une période où l’organisation interne des banques a été chamboulée par les mesures de semi-confinement, la mise en place du télétravail à grande échelle, les vidéo-conférences, le déploiement de nouvelles applications, ont permis d’innover dans l’intérêt des PME en attente de crédits. A cela s’ajoute que le trafic des paiements, sollicités comme jamais par le volume des opérations, a rempli son rôle à la perfection, confirmant le leadership helvétique en la matière. Ce n’est pas pour rien que même le « Financial Times », si prompt à critiquer la Place suisse, a rendu hommage au système mis en place par la Confédération.

Perspectives d’avenir

Une lourde incertitude subsiste au sujet de la durée de la crise et de ses conséquences économiques sur la Suisse.

La Place financière devra impérativement capitaliser sur l’unité qu’elle a su trouver autour du programme de crédits Covid-19 pour promouvoir des nouvelles initiatives porteuses d’avenir.

On pense immédiatement au développement de la finance durable, domaine dans lequel Genève a un rôle de premier plan à jouer, compte tenu de ses compétences en matière financière et de sa proximité avec les organisations onusiennes.

Mais, comme pour les crédits Covid-19, rien ne se fera à large échelle sans une impulsion forte des autorités politiques au niveau fédéral. Cela doit en particulier passer par un cadre réglementaire et fiscal attractif, indispensable à la création en Suisse de produits conformes aux principes de durabilité. On ne pourra pas faire l’économie à cet égard du débat sur la suppression du droit de timbre et de l’impôt anticipé, qui constituent un handicap à l’expansion d’une finance durable, susceptible de contribuer à cicatriser les plaies profondes laissées par la pandémie du Covid-19.
 

Opinion publiée dans "Le Temps" - 11 mai 2020

 

Yves Mirabaud Président de la Fondation Genève Place Financière