Tuesday 18 February 2020

Gérants de fortune indépendants : à l’aube d’une nouvelle ère

Le monde des gérants indépendants, piliers de la place financière genevoise, va se transformer dans les années à venir. La mise en place en Suisse romande d’un ou plusieurs Organes de surveillance, d’un centre de médiation et d’une offre de formation de qualité est essentielle.

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Les gérants de fortune indépendants (GFI) contribuent à la diversité de la Place financière genevoise. Peu de statistiques analysent de manière consolidée leur part de marché. Le Credit Suisse et l’Université de Saint-Gall ont publié une étude intitulée « Swiss External Asset Managers Industry Report 2017 » qui dénombre 2'500 gérants de fortune indépendants en Suisse, pour des avoirs sous gestion atteignant environ CHF 400 milliards. Dans sa thèse publiée en 2018, Julien Froidevaux parle de 2'600 gérants indépendants en Suisse, avec des avoirs sous gestion pour environ CHF 500 milliards.

A Genève, en 2017, les statistiques mentionnent près de 900 GFI, employant environ 3'000 collaboratrices et collaborateurs, soit environ 8% des emplois de la Place financière au sens large.

La même diversité se retrouve dans les structures professionnelles et les organismes d’autorégulation (OAR) qui regroupent ces entreprises pour la défense de leurs intérêts et la lutte anti-blanchiment.

Un pilier de la Place financière

Les GFI participent à l’enquête conjoncturelle menée chaque année par la Fondation Genève Place Financière. De manière générale, on constate un alignement des perspectives et des priorités entre les banques et les GFI.

Les résultats de l’édition 2019- 2020 de l’enquête conjoncturelle font ressortir la même prudence de la part des gérants indépendants que celle constatée chez les banques. Ils se montrent nuancés en ce qui concerne les apports nets de fonds au 30 juin 2019. 14% d’entre eux ont observé un apport net supérieur à 10% alors que 27% ont enregistré une diminution. A l’instar des banques, les GFI évoquent une hausse des charges et une diminution de la profitabilité.

Pour 2020, l’enquête révèle que 40% des GFI interrogés anticipent une année stable. 30% d’entre eux estiment que 2020 sera meilleure que 2019. Du côté de l’emploi, 60% prévoient une stabilité des effectifs, alors que 27% envisagent d’engager de nouveaux collaborateurs et collaboratrices.

En termes de conditions-cadres, la fiscalité des personnes physiques constitue l’enjeu le plus important sur le plan cantonal. Au niveau fédéral, la réglementation demeure la principale préoccupation.

La surveillance constitue un défi de taille

Il n’est pas surprenant que la réglementation figure en tête du palmarès des préoccupations des GFI.

En effet, l’entrée en vigueur au 1er janvier 2020 de la Loi sur les services financiers (LSFin), de la Loi sur les établissements financiers (LEFin) ainsi que de leurs ordonnances d’application représente un enjeu majeur pour la branche, en termes de surveillance, d’organisation et de devoirs vis-à-vis des clients et, enfin, de formation des collaboratrices et collaborateurs.

Cette législation est le fruit d’un processus mouvementé qui a permis au final l’adoption de textes conformes au principe de la proportionnalité.

A partir du 1er janvier 2020, les gestionnaires de fortune indépendants sont soumis à une surveillance étatique, mettant ainsi fin à une longue exception helvétique. Ils doivent obtenir une autorisation de la FINMA et seront surveillés par un Organisme de surveillance (OS), lui-même placé sous la supervision de la FINMA. Un délai transitoire jusqu’en 2022 a été prévu pour permettre l’affiliation à un OS.

En l’état, il semble que 4 organisations feront acte de candidature auprès de la FINMA afin d’obtenir l’accréditation en qualité d’OS.

La nouvelle législation contient aussi des exigences en matière de gouvernance et d’organisation. Il est notamment question de garantie de l’activité irréprochable, de gestion des risques, de contrôle interne et de niveau de fonds propres. Les obligations envers les clients en termes de catégorisation, de devoirs d’information, de reporting et de traitement des rétrocessions sont également définies.

A l’instar des banques, qui ont mis en place l’institution de l’Ombudsman, les GFI devront se doter d’un organe de médiation, destiné à favoriser le règlement extrajudiciaire des litiges.

En dernier lieu, on relèvera que le Parlement fédéral a renoncé à inclure dans la loi des dispositions détaillées sur le niveau de compétence attendu. L’art. 6 LSFin se borne à prévoir que les conseillers à la clientèle doivent connaître suffisamment les règles de comportement et disposer des connaissances techniques requises par leur activité.

Pour concrétiser ce devoir, les structures associatives des GFI dispensent elles-mêmes des formations ou ont conclu des partenariats avec des prestataires externes. A Genève, on citera notamment l’accord passé entre l’Association Romande des Intermédiaires Financiers (ARIF) et l’Institut Supérieur de Formation Bancaire (ISFB), permettant d’obtenir une certification SAQ- CWMA, largement reconnue sur le marché, ainsi que la collaboration entre l’Association Suisse des Gérants de Fortune (ASG) et l’Université de Genève, conduisant à l’obtention de plusieurs crédits ECTS.

Une priorité pour Genève et la Suisse romande

Face aux bouleversements induits par la LSFin et la LEFin, il est essentiel que les gestionnaires de fortune indépendants puissent disposer en Suisse romande d’un ou plusieurs Organes de surveillance (OS), d’un centre de médiation et d’une offre de formation de haut niveau.

La mise en place sur les rives du Léman de ces différentes structures renforcera le centre de compétence déjà existant. La balle est aujourd’hui dans le camp des professionnels de la branche et, aussi, de la FINMA !

Opinion publiée dans "Le Temps" - 17 février 2020

 

Yves Mirabaud Président de la Fondation Genève Place Financière