Jeudi 17 Septembre 2015

Place financière genevoise Cluster, Compétitivité et Convictions

Outre la gestion de patrimoine, Genève regroupe d'autres activités comme le financement de matières premières. Sa compétitivité dépend de sa capacité à attirer les talents, à disposer d'une fiscalité attrayante et à maintenir des infrastructures de pointe.

Le canton de Genève dispose d’un atout majeur : sa place financière est un « cluster » regroupant la gestion de patrimoine, le négoce et le financement du négoce de matières premières, l’affrètement maritime et la surveillance ainsi qu’un tissu très dense de sociétés multinationales. Ces différents maillons interdépendants forment une chaîne de valeurs unique au monde. La présence des organisations internationales, auxquelles il convient d’ajouter une recherche universitaire de haut niveau, renforce encore l’attractivité de la région.

A lui seul, le secteur financier représente près de 17% du PIB cantonal. Reposant sur trois piliers, à savoir la gestion de fortune privée et institutionnelle, la banque commerciale et de détail et le financement du négoce, il génère environ 37'000 emplois. Si l’on ajoute les quelque 22% du PIB liés à l’activité de négoce de matières premières, on atteint presque 40% du PIB genevois.

Grâce à ces spécificités, Genève figure en bonne place dans le classement des places financières globales. Toutefois, ce succès n’est pas immuable et dépend du maintien de conditions-cadres compétitives.

La compétitivité passe tout d’abord par le facteur humain et donc par la capacité d’attirer les « talents ». Cet aspect a pris une dimension nouvelle suite à la votation du 9 février 2014 sur l’Initiative « contre l’immigration de masse ». En effet, même si le vivier local fournit une main d’œuvre très qualifiée, il n’en reste pas moins, que, de par sa vocation internationale, la place financière doit pouvoir recruter les meilleurs éléments sur un marché du travail mondialisé. Ce besoin se trouve encore renforcé par la profonde mutation que vit actuellement l’industrie financière. Les métiers évoluent avec une rapidité déconcertante, en particulier sous l’influence d’innovations technologiques. Par conséquent, si les obstacles administratifs deviennent trop lourds, cela réfrénera la motivation des candidats même les plus convaincus. Une solution pragmatique devra être trouvée pour remédier à l’insécurité juridique actuelle, qui constitue un véritable poison pour l’économie.

La compétitivité ne se conçoit pas non plus sans une fiscalité attrayante, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales. A cet égard, on peut se féliciter du fait que le peuple suisse ait rejeté les initiatives visant à supprimer les forfaits fiscaux et à introduire un impôt fédéral sur les successions. Actuellement, le dossier crucial pour Genève est la réforme de l’imposition des entreprises (RIE III). Elle passe par l’abolition des statuts fiscaux cantonaux et par l’introduction de mesures compensatoires permettant au canton de conserver les entreprises qui bénéficiaient jusqu’à présent de ces statuts. Il s’agit avant tout de sociétés multinationales et de négoce, composantes vitales du « cluster » évoqué plus haut. A Genève, la seule mesure viable dans la durée est la baisse du taux ordinaire de l’impôt sur le bénéfice. Le Conseil d’Etat s’engage en faveur d’un taux d’imposition unique à 13% pour toutes les personnes morales. Genève ne peut pas s’offrir le luxe de rater cette réforme, car son voisin vaudois a pris une longueur d’avance en réunissant un large consensus politique autour d’un taux unique à 13,7%. On voit donc mal comment Genève pourrait maintenir à l’avenir son taux non concurrentiel de 24%.

La compétitivité se mesure encore en termes de qualité des infrastructures. L’offre de logements et la mobilité sont des éléments importants. L’aéroport International de Genève (AIG) et l’étendue de sa desserte aérienne constituent des facteurs clé. L’AIG permet aux intermédiaires financiers d’aller à la rencontre de leur clientèle et de prospecter de nouveaux marchés. En retour, l’AIG reçoit aussi les clients venus de l’étranger, qui s’attendent à un niveau d’accueil en adéquation avec l’image d’excellence dont notre pays bénéficie hors de nos frontières. Cette exigence implique la poursuite des investissements consentis depuis plusieurs années déjà.  A défaut, l’AIG restera à la traine de ses pairs qui se situent en particulier dans des Etats hébergeant les places financières concurrentes de Genève, que l’on pense à Singapour, Hong-Kong ou encore à Dubaï.

La compétitivité implique enfin l’accès au marché tout comme un cadre réglementaire concurrentiel. L’activité financière, gestion de fortune en tête, est une industrie d’exportation.

Les chances de survie d’un « cluster », même compétitif, sont faibles sans une forte conviction, partagée par les acteurs de la place et les autorités politiques, que l’activité bancaire et financière est utile à l’économie du canton et indispensable à la prospérité de l’ensemble de la population. Cela implique bien entendu que cette branche suscite un sentiment de fierté et non pas de rejet. Cela implique aussi que l’on sorte de la phase d’auto-flagellation dans laquelle nous nous complaisons depuis trop longtemps.

Au niveau des Autorités, en particulier fédérales, cette prise de conscience doit conduire à l’abandon d’une forme de jusqu’auboutisme réglementaire, communément appelée « Swiss Finish ». Pour illustrer ce phénomène dommageable, on peut citer la stratégie de conformité fiscale (« Weissgeldstrategie ») ou encore les dispositions relatives à la procédure civile dans le projet de Loi sur les services financiers (LSFin), qui ne correspondent à aucun standard international reconnu.

Forte de cette confiance en soi retrouvée, la place financière pourra faire valoir ses nombreux atouts.

Opinion publiée dans  "Le Temps Finance"  hors-série Journée des banquiers - 15 septembre 2015

 

Nicolas Pictet Président de la FGPF